"Chéri" est mon roman préféré de Colette, pour la délicatesse avec laquelle les sentiments y sont décrits mais aussi, et surtout, parce qu'il s'agit, une fois de plus, d'une histoire d'amour incestueuse. La question que je me posais donc en allant voir cette adaptation de mon livre fétiche était : un réalisateur anglais sera-t-il capable de retranscrire toute la sensibilité de l'auteure française au travers d'une superproduction hollywoodienne, quand bien même ce réalisateur serait Stephen Frears, le spécialiste des grandes fresques historiques ("Les liaisons dansgereuses", "The Queen") ? Le pari est plutôt réussi, je dois l'admettre, malgré quelques déceptions mineures.
Chéri et Nounoune
Première déconvenue : Chéri n'est pas très beau alors que le personnage de Colette est sensé posséder, au-delà de sa jeunesse, la beauté du diable. En témoignent les 2 passages où il parle de ses yeux en forme de "sole" qui font la particularité de son regard d'éphèbe ravageur. Toutefois, Rupert Friend/Chéri joue à la perfection la nonchalance et l'arrogance, ce qui lui donne le supplément de charme et la crédibilité qui compensent sa carence esthétique.
Sa mère, Kathy Bates, courtisane qui a eu son heure de gloire et qui ne ressemble plus à rien aujourd'hui est parfaite en rombière enrichie et totalement irresponsable. L'époque voulait que les femmes de la haute société n'élèvent pas leurs enfants mais le fait est largement souligné, peut-être même trop, dans le film de Stephen et l'on comprend vite pourquoi Chéri a du se chercher une mère de substitution en la personne de Michelle/Léa. Cette amie de sa mère, sublime Michelle Pfeiffer, a pris le relais de l'éducation de Chéri et s'occupe même de son apprentissage sexuel, sous le regard bienveillant de la propre maman du jeune garçon. Il l'appelle Nounoune, elle le nomme sa Beauté, elle le couvre d'attentions et de cadeaux. Il se comporte avec elle en petit garçon gâté, en courtisane, tout comme elle-même s'est toujours comportée avec les hommes. Est-ce un retournement de situation ? Faut-il toujours aller trouver ailleurs l'affection qu'une mère n'a jamais donné ? Est-il possible de faire le deuil de cet amour qui n'a pas existé ?
Le roman de Colette et le film de Stephen Frears nous proposent une réponse négative à ces questions. Chéri et Nounoune se séparent car l'éphèbe doit épouser une jeune fille et offrir une descendance à sa mère. Notons ici que l'enfant n'a que des devoirs envers ses parents et aucun droit en retour, société où les traditions maintiennent les générations naissantes dans un état de dette envers leurs aînés.
Chéri ne se remettra jamais de cette rupture et ira jusqu'à se donner la mort car il n'a pas su couper le cordon et il n'a pas été capable de faire sa vie en dehors de l'amour de sa mère de coeur, Nounoune.
No country for old women
Second sujet que le film effleure sans véritablement le développer : comment font les femmes qui ont été belles, voire très belles, pour supporter de vieillir. À ce titre, le choix de Michelle Pfeiffer, la plus belle actrice d'Hollywood (après Uma), est parfaitement judicieux. Toutefois, elle est magnifiquement mise en valeur, les images du film étant toutes plus époustouflantes les unes que les autres. Habillée de longues robes fluides mauves ou bleues ciel, entourée de mobilier Art Nouveau très sophistiqué et harmonieusement agencé, tous les plans semblent avoir été pensés pour mettre en valeur les yeux bleus magnétiques de Léa/Michelle/Nounoune. Dans cette mesure, on se demande bien pourquoi cette beauté, encore à son apogée, se soucierait bien de vieillir. Dans le roman de Colette, la véritable Léa présente au contraire des signes de vieillissement et de longs passages du livres décrivent son cou ravagé, par exemple, qu'elle s'escrime à masquer en portant toujours des foulards. Et si Chéri cherche une maman en elle, c'est bien pour conjurer le temps qui passe que Nounoune ne prend que des amants très jeunes. Seulement, en ce qui concerne Chéri, elle se retrouve prise au piège et tombe réellement amoureuse de lui ce qui l'amène à souffrir atrocement, le comble de l'horreur et du déshonneur pour une courtisane qui se doit de ne jamais s'attacher.
Il y a également un passage du livre que l'on ne retrouve pas dans ce film et qui en dit long sur le dégoût que lui inspire la vieillesse. Léa tente d'avoir un rendez-vous avec un homme de son âge (la cinquantaine). Ils sortent au restaurant, elle l'observe sous toutes les coutures et, même à la lumière de la bougie, elle ne voit que les signe de sa déchéance physique. Finalement Léa finit par se sauver et rentre chez elle sans demander son reste, laissant le monsieur en question seul avec ses interrogations.
Une autre stratégie pour conjurer la vieillesse est évoquée dans ce livre et dans le film, c'est d'ailleurs la source de tous les problèmes de Chéri et Nounoune. Kathy Bates considère depuis longtemps que la lutte contre le temps qui passe est un combat perdu d'avance. Elle a donc déjà renoncé à la beauté, à l'amour aussi, mais elle se console, a priori sans aucune aigreur, avec l'argent qu'elle a accumulé pendant ses années fastes. Enfin, elle décide de se faire faire des petits enfants pour "redonner du sens "à sa vie de vieille femme.
Une leçon que nous donnait Colette et que nous rappelle Stephen Frears, avec le temps, tout s'en va. Les seules choses qui restent sont celles que l'on a construites au cours de sa vie, les enfants et les petits enfants étant le meilleur exemple de construction qui remplit une vie et, surtout, qui permet de rester tournés vers l'avenir sans s'enterrer dans une nostalgie morbide.
3 commentaires:
"Chéri ne se remettra jamais de cette rupture et ira jusqu'à se donner la mort". Révéler la fin des films dans les critiques est un tantinet cavalier.
Le film s'est fait copieusement descendre au "Masque & la plume", avec beaucoup moins d'arguments précis cependant. Et puis j'ai remarqué qu'on a paradoxalement tendance à considérer avec indulgence les films issus de romans qu'on a aimé...
À HH : La fin de Chéri n'est pas un suspense puisque le livre existe depuis 1920. De plus, elle est parfaitement anecdotique dans le film.
Par ailleurs, il ne s'agit pas ici d'une critique mais plutôt d'une analyse au sens psy du terme, comme l'indique l'introduction de ce blog, en haut à droite.
À HOG : Je ne sais quoi te répondre si ce n'est que les préférences des uns et des autres sont discutables à l'infini. Et cette fois encore, c'est plutôt le contenu analytique de ce film qui m'intéresse et non ses qualités cinématographiques.
Aux 2 : C'est un peu "cavalier" de faire des critiques sous un pseudo, ça manque cruellement de courage. Ce fameux courage qui est nécessaire d'ailleurs à toute production littéraire.
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