dimanche 10 mai 2009

"Eraserhead" de David Lynch, 1977

L'héritage freudien

Il est admis que les films de David Lynch sont construits comme des rêves ou plutôt comme des cauchemars qui condensent métaphores, symboles et désirs refoulés.
"En réalité, le travail du rêve n'est que le premier et le mieux étudié d'une série de processus psychiques, ceux, notamment, auxquels se ramène la production des symptômes hystériques, angoisses, obsessions, démences, etc. Tous ces processus présentent également les caractères de la condensation et du déplacement, de ce dernier surtout; tandis que le remaniement en vue d'une représentation sensorielle demeure spéciale au travail du rêve."*, et à l'oeuvre de monsieur Lynch pourrait-on ajouter pour compléter cette citation de Freud.
Ainsi, si l'on se prend à regarder "Eraserhead" comme une fable cauchemardesque de la conception, alors ce film un tantinet obscure devient parfaitement accessible.
Par exemple, le "ça" ou encore les désirs du personnage principal y prennent la forme d'une femme aux grosses joues grêlées (photo ci-dessus) et, forcément laide puisqu'elle est à l'image de ce que la conscience refoule.
L'image paternelle, celle de Dieu et de la société toute entière, est aussi incarnée dans le film par un personnage assez laid, un homme qui tient les commandes d'une curieuse machine. Ici encore le message est clair car, qui tiens la barre de la psyché ? Le "surmoi" ou encore l'autorité et l'éducation qui empêchent nos désirs inavouables de se réaliser.
Ces deux symboles étant repérés, le déroulement de l'intrigue devient évident et l'on peut interpréter "Eraserhead" suivant la méthode préconisée par Freud pour décrypter un rêve.

Il est né le divin enfant

"Eraserhead" nous parles des bouleversements psychiques après l'arrivée d'un enfant au sein du couple. Henry, le personnage principal, après avoir mise sa fiancée enceinte, se trouve obligé de l'épouser : première entrave à sa liberté.
Il s'avère également que leur enfant n'est autre qu'une sorte de larve répugnante, un monstre, c'est-à-dire qu'il symbolise l'angoisse principale de toute femme enceinte qui est de mettre au monde un enfant anormal. Mais au-delà de ce symbole, le têtard nouveau-né incarne également l'étrangeté de tout bébé qui arrive au sein d'une famille. Il est celui qui dérange, qui braille et qui ne ressemble franchement à rien, ce fameux "petit monstre" comme on qualifie les enfants turbulents.
La venue de cette anomalie naturelle fait voler en éclat le couple qui l'accueille, comme c'est bien souvent le cas dans la réalité. Sa mère n'en peut plus et quitte le domicile conjugal pour ne plus l'entendre brailler. Le cinéaste étant un homme, il a bien du se demander comment faisaient les femmes pour supporter les cris de leur progéniture. Il y a d'abord le "surmoi" ou le sens des responsabilités qui oblige chacune à s'occuper de son petit car la socitété juge très durement les mères démissionnaires. Mais il y a aussi une hormone, la prolactine, sécrétée après l'accouchement qui favorise la montée de lait bien sûr, mais aussi et surtout qui provoque un attachement à l'enfant. Cette véritable hormone de l'amour est également sécrétée lors des rapports sexuels, favorisant, là encore, le lien entre les adultes de l'espèce humaine qui copulent. Un lien qui sera utile si un petit nait de cette union par exemple.
Pour finir concernant le "surmoi" de la mère et sa sécrétion de prolactine, aucun des deux ne semble suffisant puisqu'elle décide de partir et d'abandonner son enfant dans notre film-cauchemar. Dès lors, Henry se retrouve seul avec son monstrueux bébé.

What's on a man's mind

Et que se passe-t-il dans la tête de cet homme à partir de la naissance ? Il se sent piégé. En témoigent la pièce aux fenêtres murées dans laquelle il évolue ainsi que son rêve où l'on voit son "ça", la femme de la photo, écrabouiller des larves sur le sol, les petits avortons ressemblant à son fils ou sa fille. Henry rêverait de se débarrasser définitivement de sa progéniture qui lui bouche l'horizon pense-t-il.
L'amour maternel ou paternel est ambivalent et les parents ont toujours ce fantasme profondément refoulé de tuer leur propre enfant. Heureusement, très peu passent à l'acte. Henry fait pourtant partie de ces derniers mais avant de passer à l'ultime solution, il va tenter une aventure amoureuse pour sortir de cette nouvelle prison.
La voisine, particulièrement sexy, débarque chez lui en le provocant et ils finissent la nuit ensemble. David Lynch nous explique ici pourquoi nombres d'hommes trompent leur femme au moment où elle est enceinte ou lorsqu'elle vient d'accoucher. Il ne s'agit pas vraiment d'une question de kilos superflus mesdames, mais plutôt d'un besoin d'ouverture vers l'extérieur, de liberté, besoin que vient combler l'aventure extra-conjugale. Henry part donc chercher juste un peu d'air auprès de cette voisine.
Puis vient la culpabilité qui accompagne l'adultère et la peur de la punition. Henry fait un rêve sanglant au cours duquel il finit par se faire décapiter. On peut dire que la culpabilité a fini par "avoir sa tête" et que ce cauchemar lui sert à expier sa faute, au moins symboliquement.
Toutefois, l'aventure avec sa voisine tourne vite court car elle ramène chez elle un nouvel homme très peu de temps après. Lorsque Henry s'en rend compte, il est furieux et c'est ce qui provoque chez lui le fameux passage à l'acte. Il éventre son petit et le regarde mourir tandis que son "surmoi" (l'homme aux commandes) se met en colère et que son "ça" (la femme aux grosses joues) le serre tendrement dans ses bras, en remerciement d'avoir accompli ce désir d'infanticide refoulé.

Du bonheur d'enfanter

Quelle est donc la leçon que les couples peuvent tirer de ce chef d'oeuvre de Lynch ?
Il me semble qu'il nous recommande de lâcher du lest et de s'offrir des appels d'air lors de la venue d'un enfant. On l'a vu précédemment, c'est parce qu'il n'a plus aucune porte de sortie, pas même la voisine, que Henry succombe à ses désirs primaires.
Mettre au monde des enfants est, de mon point de vue, une aventure qui comble et enseigne énormément mais elle ne doit pas faire oublier à chacun que sa propre vie est ailleurs, la où chacun doit choisir de la faire.

* "Le rêve et son interprétation", Freud, 1925 Traduction française.

3 commentaires:

sophie a dit…

un film de Lynch ne s'analyse pas, il se vit émotionnellement, physiquement. et si le cinéma est le reflet de la vie, david lynch y parvient toujours avec brio. pas la peine d'aller chercher du côté de chez sigmund pour trouver une réponse à tes questions sur Eraserhead.

Carine a dit…

@Sophie... Sophie comment d'ailleurs ?

Je pense qu'il est possible d'analyser n'importe quelle oeuvre car elle est toujours le travail d'une personne avec une conscience, un inconscient et un subconscient. Si tu ne souhaites pas entendre une analyse de ce film, personne ne t'oblige à lire.

Et, effectivement, cette interprétation du rêve "Eraserhead" est tout à fait personnelle. Elle n'engage que moi.
En revanche, David Lynch est reconnu depuis longtemps pour réaliser des films qui représentent non pas "la vie" mais des rêves ou des cauchemars éveillés. Et cela, je ne suis pas la seule à le penser.

Carine Ouahrirou

Lord H a dit…

Bien sûr qu'un film de Lynch s'analyse aussi.
Pucelle