samedi 20 septembre 2008

Kill Bill Volumes 1 et 2 de Quentin Tarantino, 2003

Je ne reviendrai pas sur la dimension purement cinématographique de ce chef d'oeuvre, d'autres l'ont fait et bien mieux. C'est d'un point de vue psycho-socio que la saga Kill Bill a trouvé écho en moi.
L'exercice, très réussi, d'un passionné de séries B est aussi un drame familial qui m'a beaucoup renseignée sur mes propres obsessions. Une maman idéale, un papa incestueux, deux substituts paternels bienveillants et deux enfants. Forcément, il y a aussi un peu de votre famille dans ce film.
Enfin, "Kill Bill", comme avant "Jacky Brown" et après "Boulevard de la Mort", est un manifeste féministe qui en dit long sur le chemin qui reste à parcourir de ce côté, même en occident.

Big mama

Béatrix Kiddo, dite aussi Kiddo (l'enfant) ou The Bride (la mariée) ou Black Mamba, à l’époque où elle faisait encore partie du gang des Vipères Assassines, ou encore Paula Schulz quand on l'enterre vivante... La plus belle actrice d'Hollywood ne pouvait décemment pas posséder un seul nom ou pseudo car elle est la démesure incarnée, son personnage aussi. Une des raisons pour lesquelles Beatrix Kiddo sera éternellement Uma Thurman et inversement. D’ailleurs Quentin lui-même a admis, lors d’une interview aux Cahiers du Cinéma, que si tous ses personnages lui appartenaient, la mariée était devenue la propriété d’Uma. Tout comme Samuel Jackson a gagné le droit de posséder le personnage de Jules dans Pulp Fiction, mais cela, c’est une autre histoire.

Toutefois, est-ce la beauté ou la démesure de Béatrix qui m’a frappée la première fois que j’ai vu cette saga ? Je dirais la démesure dans le volume 1 car il y a cette bagarre monumentale, seule contre les Crazy 88, qui annule tout le reste du film, et la beauté dans le volume 2 qui s’ouvre tout de même sur cette image d’Uma en mariée enceinte. "La plus belle mariée qu'il m'ait été donné de voir" dit Bill, m’enlevant à ce moment-là les mots de la bouche. Une scène d'ailleurs d'un romantisme absolu avec une tension érotique palpable entre les deux acteurs.

Démesurément belle, grande et forte, au final, la mariée a tous les attributs de la mère idéale, celle que j'aurais probablement aimé avoir, celle que j'aimerais certainement être :
Elle a de grands pieds, on les remarque dès le volume 1 et je serais tentée de dire qu’on frôle le 43. Quelle grâce quand elle entreprend de les faire bouger à nouveau après 4 ans de coma. "Bouge ton gros orteil... le plus dur est passé", pense-t-elle tout haut. Ouf ! On comprend bien que c’était un sacré travail de mouvoir à nouveau des pieds comme ceux-là. On les retrouve d'ailleurs dans le volume 2, qui dépassent de sa robe de mariée pourtant bien ample et déployée par le volume de son ventre de femme enceinte. Ils sont beaux, racés et campés dans le sol. D’autant plus qu’Uma a choisi de les habiller d’une paire de spartiates. Ses pieds de géante bien à plat, elle est dotée d'une base solide car Kiddo est une super héroïne que rien ne fera jamais tomber, une maman hors du commun qui se dressera toujours droite face au danger pour sa fille.
Bref, j'ai toujours eu un faible pour les pieds d'Uma Thurman.
Béatrix a les hanches larges aussi, bien sûr, car c’est une vraie génitrice. Elle a donné la vie en donnant de sa personne et elle en garde les stigmates.
Mais la mariée a également des jambes interminables qui, toutefois, servent moins cette image de mère idéale et indestructible que celle de la femme fatale. Car Kiddo semble avoir physiquement résolu un dilemme auquel nous sommes nombreuses à nous cogner encore souvent : elle est à la fois mère et femme. Femme fatale, femme-enfant comme l’indique son nom (kid-o), femme-homme aussi avec un véritable pénis en acier et bien sûr mère aimante de la petite BB.
Enfin, la silhouette étrange de Beatrix est complétée par 2 longs bras ballants et musclés, dont elle ne semble jamais vraiment savoir que faire.
Uma a d'ailleurs toujours l'air très embarrassée par ce corps démesuré et elle avance, l'air gauche et les jambes en X, ce qui lui donne une allure dégingandée d’une élégance incroyable. Comme tous les super-héros, Béatrix n'est pas très à l'aise avec ses super pouvoirs en vérité.
Quant au visage d'Uma, il est tout aussi "big" que son corps.
Sa bouche est généreuse, son nez est long et "Picassien", le renflement de ses narines lui donnant l'air d'être perpétuellement en colère. Et ses grands yeux bleus en forme d'ogives, achèvent le tableau d'une femme hors du commun.
"La plus belle pétasse blonde que t'aies jamais vue", dit à son sujet le frère de Bill.

Lemon incest

Mais si Beatrix est aussi baptisée l'enfant (Kiddo) alors qui sont ses parents ? "Je n'ai pas de famille", nous dit-elle pendant la répétition de son mariage. Alors comme elle est seule au monde, on comprend facilement qu'elle se soit choisit un père d'adoption en la personne de Bill. Cet homme qui lui ressemble étrangement, y compris physiquement, l'a prise sous son aile, l'a formée, faisant d'elle une tueuse hors pair. Et Bill nous le dit à la fin de cette saga, parmi toutes les femmes qui le secondent, Uma est sa petite préférée.
Seulement voilà, le jour où Beatrix grandit et part voler de ses propres ailes, notamment parce qu'elle est en train de devenir maman et qu'elle doit rejoindre le monde des adultes, Bill ne la laisse pas partir. Qu'est-ce donc qu'un père qui, non seulement couche avec sa fille et la met enceinte, mais qui, en plus, ne veut pas la laisser vivre sa vie de femme une fois qu'elle n'est plus une enfant ? Un papa incestueux, un mauvais papa. C'est pour cette raison que la mariée va devoir finir par l'éliminer et tuer le père.
C'est pourtant un vrai déchirement pour celle qui finit par se tordre de douleur en cachette après avoir abattu le seul homme qu'elle aime. Mais c'est aussi une nécessité, une question de survie car Uma a choisit la vie, à savoir son enfant versus ses parents.

Toutefois, si Bill est l'exemple type du mauvais père dans ce film, Tarantino ne condamne pas la fonction paternelle dans son ensemble et il nous propose même 2 modèles de papas qui semblent tout à fait recommandables.
Le premier, gentil, bienveillant et humble, est un Japonais. Hattori Hanzo se prend d'affection pour la jeune Kiddo et lui confectionne un sabre, dont la réputation n'a d'égale que le tranchant. Avec, elle va pouvoir faire de son gros poisson, Bill, un tout petit sushi. Ce cadeau d'un pénis géant est une belle métaphore de la transmission paternelle : le père offre son pouvoir (son sexe) à sa protégée avant de prendre définitivement sa retraite.
Le second papa, est un être assez détestable, au premier abord, dur et impossible à contenter : Paï Meï. C'est sur l'insistance de Bill lui-même que Kiddo passe plusieurs années à ses côtés, gagnant ses grâces à la force du poignet, ou plutôt des phalanges, si l'on pense à la scène où Paï Meï demande à Uma de taper du poing sans relâche sur une planche en bois afin que ce soit finalement "la planche qui aie peur d'elle" et non plus l'inverse. Le vieux Chinois est intransigeant, difficile à dérider et il méprise la jeune occidentale. C'est d'ailleurs dans ce passage du volume 2 que les dialogues désopilants de Quentin Tarentino prennent toute leur ampleur : "Lève-toi et laisse-moi voir ton visage ridicule", dit Paï Meï le rabougri, à l'immense Uma Thurman. Très drôle.
Mais cet homme-là, aussi dur soit-il, lui sauve la vie. Et deux fois.
C'est grâce à lui qu'elle réussit à se sortir de la tombe alors qu'elle a été enterrée vivante par le frère de Bill. Enfin, c'est grâce à sa "technique des cinq points et de la paume qui font exploser le cœur" qu'Uma finit bel et bien par tuer Bill. Pour ces raisons, Paï Meï cumule tous les attributs du bon papa qui n'a effectivement aucune complaisance, mais qui ne convoite pas sa fille sexuellement et, surtout, qui lui enseigne tout ce qu'elle doit savoir pour se défendre et rester en vie.

Quentin et les femmes

Le premier film de Tarantino, "Reservoir Dogs" est un film d'hommes, le second, "Pulp Fiction" est mixte avec plusieurs personnages masculins assez ridicules (Travolta et Samuel Jackson en bandits-pipelettes) et déjà de beaux personnages féminins comme Uma Thurman en fiancée du pirate. Peut-être avait-il besoin de s'imposer auprès d'un public viril avant de développer un discours de plus en plus féministe et radical, mettant en scène la superbe Pam Grier dans "Jacky Brown" puis Uma dans "Kill Bill" et, enfin, une armée de femmes fortes, solidaires et décomplexées dans "Boulevard de la Mort".
La mariée, nous l'avons déjà vu, est une superwoman, qui extermine tous ceux qui se mettent en travers de sa route. Bulldozer imperturbable mais toutefois sensible quand il s'agit de sa fille ou de son homme, Beatrix incarne la femme nouvelle génération selon Quentin. Elle est totalement libre et elle n'a besoin de personne, réellement. Elle se mesure aux hommes de la même façon qu'elle défie les femmes. Face à ce genre de personnalité, le frère de Bill fait figure de cow-boy ringard et pathétique. Il le reconnait d'ailleurs lorsqu'il dit : "Cette femme mérite sa vengeance et nous méritons de mourir". Et quand il dit "nous", il veut dire les hommes en général, ceux qui ont cherché à entraver la liberté de Kiddo.
Car ils sont nombreux à vouloir lui faire payer son autonomie. Il y a Bill bien sûr, mais aussi, par exemple, ce gardien d'hôpital qui profite de son coma pour la louer aux nécrophiles de passage. En effet, personne ne peut véritablement posséder la mariée tant qu'elle est en vie. Alors quand elle se retrouve inerte, les charognes rappliquent. Voilà ce qui menace donc la femme libre, sitôt quelle s'arrêtera de bouger, on lui fera payer sa liberté en la remettant à sa place d'objet de décoration et de consommation.

Enfin, Quentin nous rappelle qu'une femme qui veut s'émanciper ne devra rien attendre des hommes et devra se résigner à une certaine solitude. Kiddo est libre et... éternellement seule comme lui fait remarquer Bill lors de la répétition de son mariage : "On se sent toujours un peu seul à tes côtés". Et c'est effectivement l'image que nous renvoie cette affranchie qui ne desserre jamais les dents.
Pour cette raison, la victoire finale de la mariée a un goût d'amertume. Beatrix a atteint son but ultime en éliminant Bill. Mais on sait aussi, lorsqu'elle s'en va avec sa fille sous le bras, qu'elle vient d'éradiquer le seul homme de taille à être son compagnon.
Une façon pour Tarentino de nous rappeler que la liberté se gagne au prix de sacrifices, parfois inhumains.

mardi 9 septembre 2008

Bad Lieutenant d'Abel Ferrara, 1993

Le frère ennemi

Il y a toujours une dimension naïve dans les films d'Abel Ferrara et c'est probablement une des raisons pour lesquelles Les Cahiers du Cinéma l'ont baptisé "Petit Maître", par opposition aux Grands du 7e Art. Cela dit, la façon dont il use et abuse du symbole et de l'iconographie religieuse, dans ce qu'elle a de plus kitsch ne me semble pas être une raison valable pour le taxer de "petit" cinéaste, cette fascination enfantine étant parfaitement assumée et revendiquée par Abel. Par ailleurs, sa recherche de pureté et de beauté dans tous les lieux les plus sordides de la ville et de l'humanité ne font pas de Ferrara un idéaliste simpliste, mais plutôt un artiste hors normes qui revendique sa foi en l'être humain. Qui revendique sa foi tout court d'ailleurs. Une posture extrêmement courageuse en ces temps de cynisme généralisé.
Cela posé, il est vrai que le travail de ce réalisateur est globalement inégal, "le mauvais lieutenant" étant l'une de ses plus belles réussites.

La maman et la putain

"Bad Lieutenant" est avant tout un film qui parle d'Amour. Et de foi, ce qui revient au même finalement.
Il est bien sûr ici question de rédemption, un thème cher à Abel. Mais, au-delà des questions du bien et du mal, il me semble que ce film nous questionne sur ce qu'est l'amour véritable, ou plutôt ce qu'il devrait être.

Harvey Keithel, monstre massif, incarne un flic ravagé, hypersexué et parfaitement nauséabond, véritable incarnation mal. Et puisqu' Harvey joue le rôle de Satan, il est forcément sexy en diable. À ce titre, la fameuse scène où il profite sans vergogne de son statut de flic pour réclamer de deux ados effrayées que l'une simule une fellation tandis que l'autre lui montre ses fesses est d'une tension érotique quasi insoutenable. Interminable et excitant, parce que c'est mal et malsain, tout simplement.
Mais jusque là, Abel ne prend pas de risque, il nous rappelle juste ce que nous savons déjà. La tentation du mal est irrésistible.

Là où le propos devient beaucoup plus audacieux, c'est lorsqu' apparaît cette bonne soeur, victime du viol de deux kids, dont elle connait par ailleurs l'identité. Bien sûr, elle n'a rien de crédible en nonne car elle est belle comme une Madone et sexy comme une lap-danceuse avec ses lèvres rouges vermillon. Pourtant, on a envie d'y croire...
Et lorsqu'elle souffre, le Christ saigne sur sa croix. Et lorsqu'elle pourrait obtenir vengeance, elle pardonne. Le "mauvais lieutenant" en perd forcément son latin. Le spectateur aussi.
Objet de curiosité, la nonne vertueuse devient vite un objet de désir pour le lieutenant. Pour nous aussi. Qu'est-ce qui fascine ainsi chez cette femme que la tentation du mal ne semble jamais avoir effleurée. Est-ce la dimension masochiste du personnage ?
Je pense que c'est beaucoup moins évident que ça. Cette beauté inaccessible est tout simplement "la femme idéale". Et, telle une mère, lorsque ses enfants la blessent, elle pardonne parce que son Amour est inaltérable. Et telle un objet de désir, elle s'offre sans retenue à ses violeurs, comme elle s'offre à Dieu. C'est probablement, au-delà de son physique, ce qui rend cette femme si sexy.
Quoiqu'il en soit, je vois chez cette nonne une tentative d'esquisse de l'Amour parfait entre les hommes et les femmes. Un amour céleste certes, mais aussi terrestre, un amour qui réussirait enfin à réconcilier l'affectif et la sexualité.
Et je cite Virginie Despentes** qui cite Pheterson qui cite Freud : "Le courant tendre et le courant sensuel n'ont fusionné comme il convient que chez un très petit nombre des êtres civilisés ; presque toujours l'homme se sent limité dans son activité sexuelle par le respect pour la femme et ne développe sa pleine puissance que lorsqu'il est en présence d'un objet sexuel rabaissé, ce qui est aussi fondé, d'autre part, sur le fait qu'interviennent dans ses buts sexuels des composantes perverses qu'il ne se permet pas de satisfaire avec une femme qu'il respecte."
Ou pour dire les choses plus prosaïquement, je pense également au film "Mafia Blues" et à cette réplique de Bob De Niro à son psy qui lui demande pourquoi il ne réalise pas tous ses fantasmes avec sa femme. Réponse du mafieux, outré : "Enfin, c'est quand même la bouche qui embrasse mes gosses !".

Welcome to Toxland

Dans ce film, il est aussi question d'un autre type de sentiment, un Amour beaucoup plus mystique et insaisissable, celui qui relie à Dieu. Cette Passion, c'est celle de la bonne soeur, qui a dédié sa vie au sacré et qui aime simplement, sans rien attendre en retour, tous ceux qui se présentent. Difficile pour le spectateur de comprendre, de cautionner cette façon dont elle se donne et pardonne sans réserve. "Like all the miserables, they took..."*, c'est ce qu'elle dit de ses violeurs. Aucune rancoeur, aucune amertume, juste de la compassion. Ce sentiment qui nous est globalement assez étranger et qui l'est d'autant plus pour notre flic pourri fascine et suscite l'envie. On comprend bien là que cette femme vit une expérience qui dépasse l'entendement des mortels. Et le côté inaccessible de cet amour là nous pousse à la jalouser forcément un peu. Elle vit une véritable passion divine qui semble transcender sa vie.
De son côté, Harvey multiplie les moments de défonce au crack, et l'effet planant de la substance est très bien retranscrit au travers des images du film. Toutefois, on se rend bien compte que les trips du toxicomane sont bien en-dessous de l'expérience de la bonne soeur au visage lumineux. La foi, cet Amour absolu, est présentée ici comme une véritable drogue supérieure à toute autre.
Et le Bad Lieutenant n'en revient pas d'avoir trouvé là pire toxicomane que lui. Surtout entre les murs d'une église.
Ironie du cinéaste ?

* "Comme tous les malheureux, ils ont pris..."
** in "King Kong Theorie", éditions Grasset