mardi 21 octobre 2008

Vicky Cristina Barcelona de Woody Allen, 2008

Woody VS Pedro

Lassé de ses compatriotes et des tours de Manhattan, Woody Allen a choisi de tourner son dernier film à Barcelone avec, d'une part des comédiens 100% américains et, d'autre part, des acteurs désormais hollywoodiens mais que nous avons découvert via le cinéma espagnol : Javier Bardem, le chouchou de José Juan Bigas Luna, et Penelope Cruz, égérie du cinéma d'Almodovar.
Afin de nous démontrer que les États-Unis ont aujourd'hui perdu ce qui faisait leur essence, la passion, Woody choisit de filmer Barcelone comme il aurait filmé NYC. Effectivement, force est de constater que ça ne fonctionne pas. Filmée du dessous, sans aucun artifice chromique, la ville européenne perd tout son charme et ne dégage absolument rien.
La démonstration visuelle faite, Woody entreprend de nous prouver également qu'entre les espagnols, européens au sang chaud, et les américains blasés, gavés, désincarnés, il existe un monde qui dépasse désormais largement l'océan atlantique.
Ainsi, durant les 3 premiers quarts d'heures du film "Vicky Cristina Barcelona", on s'emmerde ferme, les quelques interventions de Javier Bardem ne suffisant pas à briser l'ennui qu'ont installé les 2 actrices américaines Scarlett Johansson et Rebecca Hall. Cela dit, au passage, la blonde passionnée au rabais et la brune psychorigide parfaitement dénuée d'émotion sont toutes deux terribles dans leurs rôles. Le résultat escompté est obtenu, après 15 minutes, on n'en peux plus de les voir ces deux-là... Et on atteint le comble de l'agacement grâce au petit ami de Rebecca Hall/Vicky, un "winner" puritain et affligeant, au physique caricatural et au sourire excessivement maîtrisé sur toute petite bouche en cul de poule.
On l'aura compris, les américains sont chiants à tout vouloir contrôler, ils n'ont plus aucune passion. Comment en est-on arrivé là quand on sait que ces mêmes personnes viennent, elles aussi, du vieux continent ? Celui de Barcelone justement où Penelope et Javier laissent exploser leur passion avec une voracité tragi-comique durant toute la seconde moitié du film ?
Cela, Woody ne nous le dit pas.

Pulsion de mort/Pulsion de vie

Cristina/Scarlett Johansson a beau porter un prénom "qui sonne latin", on découvre vite qu'elle est finalement loin de la blonde fantasque et voluptueuse qu'elle croit être. Elle s'en rend bien compte au contact du couple Penelope/Javier. Elle qui se prenait pour une artiste n'est qu'une coquille vide, une "brioche sexy" comme dit d'elle Virginie Despentes. La blonde en chair, l'oeil vide et l'expression inexistante, incarne parfaitement l'absence, comme elle le faisait déjà si bien dans "Lost in translation". Comédienne insipide ou nouvelle Marilyn Monroe ? Scarlett me pose question et semble toujours osciller entre ces deux pôles...
Par contraste, Penelope Cruz serait presque en train de surjouer l'excès. Le décalage entre les êtres inanimés d'une part et les vivants de l'autre nous saute donc à la figure. D'ailleurs, le couple Penelope/Javier a beau se menacer régulièrement avec un flingue, faire des tentatives de suicide régulières, on comprend vite que ce ne sont pas eux qui sont prêts de mourir. Les américains selon Woody, avec leur volonté d'éviter toute mise en danger, tout comportement à risque (prendre l'avion avec Javier comme pilote par exemple), sont définitivement morts. Les clichés sont balayés par le réalisateur et la pulsion de vie est ici beaucoup plus manifeste chez le couple sado-maso des espagnols que chez le couple américain lisse que constituent Vicky et son mari. Un couple pourtant plein de projets de construction, comme celui de se marier à Barcelone justement...

Jules et Jim

Enfin, puisque les américains ne sont plus capables d'exister alors au moins Woody leur redonne une utilité dans ce film en les replaçant au rang d'objets qui va nourrir la passion des européens.
Situés au centre de l'intrigue, les amoureux espagnols, n'arrivent pas à vivre ensemble jusqu'à ce qu'ils découvrent que tout redevient possible en présence d'une tierce personne. Et peu importe la personne, du moment que l'emballage est attrayant. Ils font donc un premier essai avec Cristina/Scarlett. Essai concluant, sauf que Cristina finit par décider de repartir aux États-Unis, estimant qu'elle a assez goûté à l'excentricité européenne. En effet, elle a eu ce qu'elle cherchait, non pas sa petite dose d'émotions fortes car on perçoit bien qu'elle ne ressent rien lors de ses ébats avec le couple, non elle revient juste avec un souvenir original de l'Espagne, quelque chose à raconter. On le constate à plusieurs reprises, les moments les plus exaltants pour elle sont ceux où elle peut, enfin, raconter à sa copine Vicky, ce qu'elle a "vécu" avec le couple infernal.
Mais les amoureux ne se découragent pas et Javier entreprend de remplacer Cristina par Vicky puisque la seconde a aussi un physique suffisamment attrayant. Manque de bol, c'est Penelope Cruz qui fait un faux pas et fait fuir la brune américaine, pourtant décidée 5 minutes plus tôt à tirer un trait sur sa prison dorée pour, enfin, vivre vraiment quelque chose.
La brune américaine ne vivra donc rien. Tant pis pour elle.
On compte bien sur notre couple passionné pour trouver une troisième personne-objet qui restera enfin et leur permettra de laisser leur amour se déployer pleinement. Javier, croisement surréaliste entre Rocco Siffredi et Antonio Banderas, a suffisamment de sex-appeal pour conquérir de nouvelles recrues.
"Vicky Cristina Barcelona" n'est donc pas parfaitement un remake du mythique Jules et Jim puisque dans le film de Woody Allen il s'agit bien d'un couple qui cherche un instrument pour assouvir sa passion, tandis que dans le film de François Truffaut, il était question d'un vrai "couple à 3" où personne n'était remplaçable. En effet, Jules aimait Jim avant même de rencontrer Jeanne Moreau, la femme qui allait encore les rapprocher.
Et puis dans Jules et Jim, il y avait beaucoup de difficulté à vivre cet amour à 3 tandis que le film de Woody Allen est parfaitement optimiste sur la passion du couple Javier/Penelope. Certes, ça n'aura pas marché cette-fois là avec les 2 petites américaines mais ça fonctionnera une prochaine fois, aucun doute. On le sait puisqu'on sort de la séance avec le sourire aux lèvres, après avoir pris plusieurs fou-rires dans la salle.
Et tant qu'il y aura des américains pour regarder vivre les européens, alors Woody Allen pourra continuer à faire des films sur l'amour.

samedi 20 septembre 2008

Kill Bill Volumes 1 et 2 de Quentin Tarantino, 2003

Je ne reviendrai pas sur la dimension purement cinématographique de ce chef d'oeuvre, d'autres l'ont fait et bien mieux. C'est d'un point de vue psycho-socio que la saga Kill Bill a trouvé écho en moi.
L'exercice, très réussi, d'un passionné de séries B est aussi un drame familial qui m'a beaucoup renseignée sur mes propres obsessions. Une maman idéale, un papa incestueux, deux substituts paternels bienveillants et deux enfants. Forcément, il y a aussi un peu de votre famille dans ce film.
Enfin, "Kill Bill", comme avant "Jacky Brown" et après "Boulevard de la Mort", est un manifeste féministe qui en dit long sur le chemin qui reste à parcourir de ce côté, même en occident.

Big mama

Béatrix Kiddo, dite aussi Kiddo (l'enfant) ou The Bride (la mariée) ou Black Mamba, à l’époque où elle faisait encore partie du gang des Vipères Assassines, ou encore Paula Schulz quand on l'enterre vivante... La plus belle actrice d'Hollywood ne pouvait décemment pas posséder un seul nom ou pseudo car elle est la démesure incarnée, son personnage aussi. Une des raisons pour lesquelles Beatrix Kiddo sera éternellement Uma Thurman et inversement. D’ailleurs Quentin lui-même a admis, lors d’une interview aux Cahiers du Cinéma, que si tous ses personnages lui appartenaient, la mariée était devenue la propriété d’Uma. Tout comme Samuel Jackson a gagné le droit de posséder le personnage de Jules dans Pulp Fiction, mais cela, c’est une autre histoire.

Toutefois, est-ce la beauté ou la démesure de Béatrix qui m’a frappée la première fois que j’ai vu cette saga ? Je dirais la démesure dans le volume 1 car il y a cette bagarre monumentale, seule contre les Crazy 88, qui annule tout le reste du film, et la beauté dans le volume 2 qui s’ouvre tout de même sur cette image d’Uma en mariée enceinte. "La plus belle mariée qu'il m'ait été donné de voir" dit Bill, m’enlevant à ce moment-là les mots de la bouche. Une scène d'ailleurs d'un romantisme absolu avec une tension érotique palpable entre les deux acteurs.

Démesurément belle, grande et forte, au final, la mariée a tous les attributs de la mère idéale, celle que j'aurais probablement aimé avoir, celle que j'aimerais certainement être :
Elle a de grands pieds, on les remarque dès le volume 1 et je serais tentée de dire qu’on frôle le 43. Quelle grâce quand elle entreprend de les faire bouger à nouveau après 4 ans de coma. "Bouge ton gros orteil... le plus dur est passé", pense-t-elle tout haut. Ouf ! On comprend bien que c’était un sacré travail de mouvoir à nouveau des pieds comme ceux-là. On les retrouve d'ailleurs dans le volume 2, qui dépassent de sa robe de mariée pourtant bien ample et déployée par le volume de son ventre de femme enceinte. Ils sont beaux, racés et campés dans le sol. D’autant plus qu’Uma a choisi de les habiller d’une paire de spartiates. Ses pieds de géante bien à plat, elle est dotée d'une base solide car Kiddo est une super héroïne que rien ne fera jamais tomber, une maman hors du commun qui se dressera toujours droite face au danger pour sa fille.
Bref, j'ai toujours eu un faible pour les pieds d'Uma Thurman.
Béatrix a les hanches larges aussi, bien sûr, car c’est une vraie génitrice. Elle a donné la vie en donnant de sa personne et elle en garde les stigmates.
Mais la mariée a également des jambes interminables qui, toutefois, servent moins cette image de mère idéale et indestructible que celle de la femme fatale. Car Kiddo semble avoir physiquement résolu un dilemme auquel nous sommes nombreuses à nous cogner encore souvent : elle est à la fois mère et femme. Femme fatale, femme-enfant comme l’indique son nom (kid-o), femme-homme aussi avec un véritable pénis en acier et bien sûr mère aimante de la petite BB.
Enfin, la silhouette étrange de Beatrix est complétée par 2 longs bras ballants et musclés, dont elle ne semble jamais vraiment savoir que faire.
Uma a d'ailleurs toujours l'air très embarrassée par ce corps démesuré et elle avance, l'air gauche et les jambes en X, ce qui lui donne une allure dégingandée d’une élégance incroyable. Comme tous les super-héros, Béatrix n'est pas très à l'aise avec ses super pouvoirs en vérité.
Quant au visage d'Uma, il est tout aussi "big" que son corps.
Sa bouche est généreuse, son nez est long et "Picassien", le renflement de ses narines lui donnant l'air d'être perpétuellement en colère. Et ses grands yeux bleus en forme d'ogives, achèvent le tableau d'une femme hors du commun.
"La plus belle pétasse blonde que t'aies jamais vue", dit à son sujet le frère de Bill.

Lemon incest

Mais si Beatrix est aussi baptisée l'enfant (Kiddo) alors qui sont ses parents ? "Je n'ai pas de famille", nous dit-elle pendant la répétition de son mariage. Alors comme elle est seule au monde, on comprend facilement qu'elle se soit choisit un père d'adoption en la personne de Bill. Cet homme qui lui ressemble étrangement, y compris physiquement, l'a prise sous son aile, l'a formée, faisant d'elle une tueuse hors pair. Et Bill nous le dit à la fin de cette saga, parmi toutes les femmes qui le secondent, Uma est sa petite préférée.
Seulement voilà, le jour où Beatrix grandit et part voler de ses propres ailes, notamment parce qu'elle est en train de devenir maman et qu'elle doit rejoindre le monde des adultes, Bill ne la laisse pas partir. Qu'est-ce donc qu'un père qui, non seulement couche avec sa fille et la met enceinte, mais qui, en plus, ne veut pas la laisser vivre sa vie de femme une fois qu'elle n'est plus une enfant ? Un papa incestueux, un mauvais papa. C'est pour cette raison que la mariée va devoir finir par l'éliminer et tuer le père.
C'est pourtant un vrai déchirement pour celle qui finit par se tordre de douleur en cachette après avoir abattu le seul homme qu'elle aime. Mais c'est aussi une nécessité, une question de survie car Uma a choisit la vie, à savoir son enfant versus ses parents.

Toutefois, si Bill est l'exemple type du mauvais père dans ce film, Tarantino ne condamne pas la fonction paternelle dans son ensemble et il nous propose même 2 modèles de papas qui semblent tout à fait recommandables.
Le premier, gentil, bienveillant et humble, est un Japonais. Hattori Hanzo se prend d'affection pour la jeune Kiddo et lui confectionne un sabre, dont la réputation n'a d'égale que le tranchant. Avec, elle va pouvoir faire de son gros poisson, Bill, un tout petit sushi. Ce cadeau d'un pénis géant est une belle métaphore de la transmission paternelle : le père offre son pouvoir (son sexe) à sa protégée avant de prendre définitivement sa retraite.
Le second papa, est un être assez détestable, au premier abord, dur et impossible à contenter : Paï Meï. C'est sur l'insistance de Bill lui-même que Kiddo passe plusieurs années à ses côtés, gagnant ses grâces à la force du poignet, ou plutôt des phalanges, si l'on pense à la scène où Paï Meï demande à Uma de taper du poing sans relâche sur une planche en bois afin que ce soit finalement "la planche qui aie peur d'elle" et non plus l'inverse. Le vieux Chinois est intransigeant, difficile à dérider et il méprise la jeune occidentale. C'est d'ailleurs dans ce passage du volume 2 que les dialogues désopilants de Quentin Tarentino prennent toute leur ampleur : "Lève-toi et laisse-moi voir ton visage ridicule", dit Paï Meï le rabougri, à l'immense Uma Thurman. Très drôle.
Mais cet homme-là, aussi dur soit-il, lui sauve la vie. Et deux fois.
C'est grâce à lui qu'elle réussit à se sortir de la tombe alors qu'elle a été enterrée vivante par le frère de Bill. Enfin, c'est grâce à sa "technique des cinq points et de la paume qui font exploser le cœur" qu'Uma finit bel et bien par tuer Bill. Pour ces raisons, Paï Meï cumule tous les attributs du bon papa qui n'a effectivement aucune complaisance, mais qui ne convoite pas sa fille sexuellement et, surtout, qui lui enseigne tout ce qu'elle doit savoir pour se défendre et rester en vie.

Quentin et les femmes

Le premier film de Tarantino, "Reservoir Dogs" est un film d'hommes, le second, "Pulp Fiction" est mixte avec plusieurs personnages masculins assez ridicules (Travolta et Samuel Jackson en bandits-pipelettes) et déjà de beaux personnages féminins comme Uma Thurman en fiancée du pirate. Peut-être avait-il besoin de s'imposer auprès d'un public viril avant de développer un discours de plus en plus féministe et radical, mettant en scène la superbe Pam Grier dans "Jacky Brown" puis Uma dans "Kill Bill" et, enfin, une armée de femmes fortes, solidaires et décomplexées dans "Boulevard de la Mort".
La mariée, nous l'avons déjà vu, est une superwoman, qui extermine tous ceux qui se mettent en travers de sa route. Bulldozer imperturbable mais toutefois sensible quand il s'agit de sa fille ou de son homme, Beatrix incarne la femme nouvelle génération selon Quentin. Elle est totalement libre et elle n'a besoin de personne, réellement. Elle se mesure aux hommes de la même façon qu'elle défie les femmes. Face à ce genre de personnalité, le frère de Bill fait figure de cow-boy ringard et pathétique. Il le reconnait d'ailleurs lorsqu'il dit : "Cette femme mérite sa vengeance et nous méritons de mourir". Et quand il dit "nous", il veut dire les hommes en général, ceux qui ont cherché à entraver la liberté de Kiddo.
Car ils sont nombreux à vouloir lui faire payer son autonomie. Il y a Bill bien sûr, mais aussi, par exemple, ce gardien d'hôpital qui profite de son coma pour la louer aux nécrophiles de passage. En effet, personne ne peut véritablement posséder la mariée tant qu'elle est en vie. Alors quand elle se retrouve inerte, les charognes rappliquent. Voilà ce qui menace donc la femme libre, sitôt quelle s'arrêtera de bouger, on lui fera payer sa liberté en la remettant à sa place d'objet de décoration et de consommation.

Enfin, Quentin nous rappelle qu'une femme qui veut s'émanciper ne devra rien attendre des hommes et devra se résigner à une certaine solitude. Kiddo est libre et... éternellement seule comme lui fait remarquer Bill lors de la répétition de son mariage : "On se sent toujours un peu seul à tes côtés". Et c'est effectivement l'image que nous renvoie cette affranchie qui ne desserre jamais les dents.
Pour cette raison, la victoire finale de la mariée a un goût d'amertume. Beatrix a atteint son but ultime en éliminant Bill. Mais on sait aussi, lorsqu'elle s'en va avec sa fille sous le bras, qu'elle vient d'éradiquer le seul homme de taille à être son compagnon.
Une façon pour Tarentino de nous rappeler que la liberté se gagne au prix de sacrifices, parfois inhumains.

mardi 9 septembre 2008

Bad Lieutenant d'Abel Ferrara, 1993

Le frère ennemi

Il y a toujours une dimension naïve dans les films d'Abel Ferrara et c'est probablement une des raisons pour lesquelles Les Cahiers du Cinéma l'ont baptisé "Petit Maître", par opposition aux Grands du 7e Art. Cela dit, la façon dont il use et abuse du symbole et de l'iconographie religieuse, dans ce qu'elle a de plus kitsch ne me semble pas être une raison valable pour le taxer de "petit" cinéaste, cette fascination enfantine étant parfaitement assumée et revendiquée par Abel. Par ailleurs, sa recherche de pureté et de beauté dans tous les lieux les plus sordides de la ville et de l'humanité ne font pas de Ferrara un idéaliste simpliste, mais plutôt un artiste hors normes qui revendique sa foi en l'être humain. Qui revendique sa foi tout court d'ailleurs. Une posture extrêmement courageuse en ces temps de cynisme généralisé.
Cela posé, il est vrai que le travail de ce réalisateur est globalement inégal, "le mauvais lieutenant" étant l'une de ses plus belles réussites.

La maman et la putain

"Bad Lieutenant" est avant tout un film qui parle d'Amour. Et de foi, ce qui revient au même finalement.
Il est bien sûr ici question de rédemption, un thème cher à Abel. Mais, au-delà des questions du bien et du mal, il me semble que ce film nous questionne sur ce qu'est l'amour véritable, ou plutôt ce qu'il devrait être.

Harvey Keithel, monstre massif, incarne un flic ravagé, hypersexué et parfaitement nauséabond, véritable incarnation mal. Et puisqu' Harvey joue le rôle de Satan, il est forcément sexy en diable. À ce titre, la fameuse scène où il profite sans vergogne de son statut de flic pour réclamer de deux ados effrayées que l'une simule une fellation tandis que l'autre lui montre ses fesses est d'une tension érotique quasi insoutenable. Interminable et excitant, parce que c'est mal et malsain, tout simplement.
Mais jusque là, Abel ne prend pas de risque, il nous rappelle juste ce que nous savons déjà. La tentation du mal est irrésistible.

Là où le propos devient beaucoup plus audacieux, c'est lorsqu' apparaît cette bonne soeur, victime du viol de deux kids, dont elle connait par ailleurs l'identité. Bien sûr, elle n'a rien de crédible en nonne car elle est belle comme une Madone et sexy comme une lap-danceuse avec ses lèvres rouges vermillon. Pourtant, on a envie d'y croire...
Et lorsqu'elle souffre, le Christ saigne sur sa croix. Et lorsqu'elle pourrait obtenir vengeance, elle pardonne. Le "mauvais lieutenant" en perd forcément son latin. Le spectateur aussi.
Objet de curiosité, la nonne vertueuse devient vite un objet de désir pour le lieutenant. Pour nous aussi. Qu'est-ce qui fascine ainsi chez cette femme que la tentation du mal ne semble jamais avoir effleurée. Est-ce la dimension masochiste du personnage ?
Je pense que c'est beaucoup moins évident que ça. Cette beauté inaccessible est tout simplement "la femme idéale". Et, telle une mère, lorsque ses enfants la blessent, elle pardonne parce que son Amour est inaltérable. Et telle un objet de désir, elle s'offre sans retenue à ses violeurs, comme elle s'offre à Dieu. C'est probablement, au-delà de son physique, ce qui rend cette femme si sexy.
Quoiqu'il en soit, je vois chez cette nonne une tentative d'esquisse de l'Amour parfait entre les hommes et les femmes. Un amour céleste certes, mais aussi terrestre, un amour qui réussirait enfin à réconcilier l'affectif et la sexualité.
Et je cite Virginie Despentes** qui cite Pheterson qui cite Freud : "Le courant tendre et le courant sensuel n'ont fusionné comme il convient que chez un très petit nombre des êtres civilisés ; presque toujours l'homme se sent limité dans son activité sexuelle par le respect pour la femme et ne développe sa pleine puissance que lorsqu'il est en présence d'un objet sexuel rabaissé, ce qui est aussi fondé, d'autre part, sur le fait qu'interviennent dans ses buts sexuels des composantes perverses qu'il ne se permet pas de satisfaire avec une femme qu'il respecte."
Ou pour dire les choses plus prosaïquement, je pense également au film "Mafia Blues" et à cette réplique de Bob De Niro à son psy qui lui demande pourquoi il ne réalise pas tous ses fantasmes avec sa femme. Réponse du mafieux, outré : "Enfin, c'est quand même la bouche qui embrasse mes gosses !".

Welcome to Toxland

Dans ce film, il est aussi question d'un autre type de sentiment, un Amour beaucoup plus mystique et insaisissable, celui qui relie à Dieu. Cette Passion, c'est celle de la bonne soeur, qui a dédié sa vie au sacré et qui aime simplement, sans rien attendre en retour, tous ceux qui se présentent. Difficile pour le spectateur de comprendre, de cautionner cette façon dont elle se donne et pardonne sans réserve. "Like all the miserables, they took..."*, c'est ce qu'elle dit de ses violeurs. Aucune rancoeur, aucune amertume, juste de la compassion. Ce sentiment qui nous est globalement assez étranger et qui l'est d'autant plus pour notre flic pourri fascine et suscite l'envie. On comprend bien là que cette femme vit une expérience qui dépasse l'entendement des mortels. Et le côté inaccessible de cet amour là nous pousse à la jalouser forcément un peu. Elle vit une véritable passion divine qui semble transcender sa vie.
De son côté, Harvey multiplie les moments de défonce au crack, et l'effet planant de la substance est très bien retranscrit au travers des images du film. Toutefois, on se rend bien compte que les trips du toxicomane sont bien en-dessous de l'expérience de la bonne soeur au visage lumineux. La foi, cet Amour absolu, est présentée ici comme une véritable drogue supérieure à toute autre.
Et le Bad Lieutenant n'en revient pas d'avoir trouvé là pire toxicomane que lui. Surtout entre les murs d'une église.
Ironie du cinéaste ?

* "Comme tous les malheureux, ils ont pris..."
** in "King Kong Theorie", éditions Grasset

samedi 30 août 2008

Une citation de Benjamin Franklin (Boston, 1706-Philadelphie, 1790)

They who can give up essential liberty to obtain a little temporary safety, deserve neither liberty nor safety.
Ceux qui sont prêts à sacrifier une liberté essentielle pour acheter une sécurité passagère ne méritent ni la liberté, ni la sécurité.

jeudi 28 août 2008

Wall-E d'Andrew Stanton, 2008


Et Apple créa la femme...

La première partie de "Wall-E" est un superbe Chaplin numérique, plein de poésie et de burlesque.
Joli croisement entre un Caterpillar et une paire de jumelles, le personnage principal ne paie pas de mine, et pourtant, il a le charisme inexplicable de son grand frère spirituel E.T. Occupé à nettoyer sans relâche une planète bleue ensevelie sous les déchets, Wall-E semble très seul dans ce paysage monochrome aux reliefs magnifiques et décadents. Alors bien sûr quand arrive LA femme, celle que Dieu a créé, il en tombe immédiatement amoureux. Eve est une ravissante poupée carrossée comme un Mac et aux performances technologiques impressionnantes. Certes, notre petit robot cabossé fait pâle figure à côté mais il est bourré de charme et il va en user. Débute alors un merveilleux ballet aérien et muet entre les deux étrangers qui vont apprendre à s'apprivoiser. Méfiante, elle lui tire dessus. Persévérant, il lui offre tous ses trésors récoltés dans les décharges. Intriguée, elle fronce ses beaux yeux bleus. Grand prince, il la couvre de bijoux (cf photo).
Ils sont seuls au monde, ils n'ont pas d'histoire. Plus rien n'existe avant eux, autour d'eux, rien que leur danse gracieuse et leur relation qui se déploie sous nos yeux. Car c'est ainsi que vivent les amoureux, leurs corps en mouvement dans un espace indéfini fait de légèreté et de bonheur infini.
La première partie de Wall-E est définitivement un moment d'émotion pur, gratuit et sans aucune psychologie. Du vrai cinéma.
La seconde partie, dans l'espace, ne présente, à mon sens aucun intérêt. L'univers est moche, le propos convenu et grossier. Voilà 45 minutes qui, si on les supprimait, feraient de Wall-E l'un des plus beaux moyen-métrages d'Hollywood.

dimanche 24 août 2008

Disneyland Paris

Pour la petite histoire...

Voilà maintenant 3 ans que j'ai une tendresse particulière pour ce parc d'attraction qui a suscité bien des polémiques lors de son implantation en France. Mon fils avait 2 ans et demi lorsque nous y sommes allés ensemble pour la première fois. Séparée de son père depuis déjà un an et demi à l'époque, je traversais une période sombre où rien ne me semblait fonctionner de façon fluide, notamment les relations avec mon fils. De fait, il traversait, lui aussi, un moment trouble de son histoire, le bonheur des enfants étant, malheureusement, étroitement lié à celui de leurs parents, et plus particulièrement à celui de leur mère à cet âge. Bref, nous nous étions perdus de vue avec mon fils, et cela même si nous vivions sous le même toit. Disneyland Paris a été le lieu de nos retrouvailles, c'est pourquoi je suis difficilement objective en ce qui concerne cet endroit que je juge depuis comme un véritable Éden familial. Probablement l'équivalent de ce que sont Paris et Venise aux amoureux.
Cela dit, mon contexte personnel étant ce qu'il était à l'époque, je pense que ce parc a réellement été pensé pour que chacun y passe un moment exceptionnel de communion en famille et j'ai plusieurs raisons objectives d'affirmer cela.

Politically correct

Tout d'abord, personne n'est oublié à Disney : à l'entrée du parc, on vous loue, au choix, des poussettes ou des fauteuils roulants pour les personnes handicapées, âgées ou obèses. Les restaurants proposent des menus végétariens et, par ailleurs, tout est ultra sécurisé et même les enfants kamikazes n'ont aucun risque de se faire mal nulle part. Enfin, tout ce qu'on y voit est labellisé "politiquement correct", ce qui, je dois l'avouer est plutôt agréable lorsque l'on se balade avec des petits, habitué à passer devant des kiosques à journaux qui rivalisent avec la vitrine d'un sex shop. Le parc ayant été conçu sur le même modèle que ceux de Floride et de Californie, on sent l'influence, pour le coup hautement bénéfique, des lobbies des minorités au sein d'une société procédurière. Car c'est ainsi que les droits de chacun sont respectés aux USA, grâce à la pression des lobbies qui réclament des lois spécifiques, en faveur de chaque groupe. Ce modèle a ses limites mais, à l'heure où les français se posent la question de la discrimination positive, force est de constater que la démarche américaine repose sur le respect des individualités et a porté ses fruits en terme d'intégration, tout du moins, dans le monde du travail. À ce propos, la première fois que j'ai vu des enfants handicapés à la télévision qui étaient là en tant "qu'enfants comme les autres" et non en tant "qu'handicapés", c'était dans une émission américaine, appelée "Sesame Street". En France, le seul moment où l'on peut apercevoir ces minorités, c'est lors du Téléthon. No comment.

All inclusive

À Disney, on en a pour son argent. Et j'adore ce concept typiquement américain de l'assiette qui déborde versus la cuisine nouvelle européenne, très jolie, mais tellement frugale.
L’entrée des 2 Parcs est certes très chère, mais il faut envisager une journée à Disney comme un événement exceptionnel, à renouveler tous les 3-4 ans par exemple. Surtout que, là-bas, chacun peut se contenter de payer son entrée puis passer une journée de bonheur à volonté sans débourser un centime de plus. Ce cas de figure est totalement illusoire, je vous le concède, étant donné la présence massive de tout le merchandising siglé Walt Disney, mais théoriquement, c'est possible.
Venezdonc un matin à l’ouverture, vers 10h et repartez le soir (en été) à 23h00, vous saurez pourquoi vous avez décaissé 59 euros par adulte et 51 euros par enfant. Sans compter les tarifs spéciaux qui sont nombreux… Sur place, vous pouvez manger dans l’un de leurs nombreux fast-foods hors de prix ou aussi emmener votre pic-nique et vous installer sur l’une des nombreuses tables de leurs restaurants qui ne sont pas réservées qu’aux personnes qui consomment. Et là, avouez que, dans n'importe quel café de France, il est impossible de venir «avec son manger».
Sachez toutefois que les RER en direction de Paris ne sont pas réglés exactement sur les horaires du parc (une hérésie de la SNCF) et qu'il vaut mieux prévoir de partir à 23h pétantes pour ne pas louper le dernier, ce qui ajouterait une note de taxi assez salée à l'addition.
Revenons aux parcs en eux-même… Ils sont d’une beauté et d’un gigantisme qui a de quoi séduire tous les rêveurs, et je ne trouve aucunement qu’il s’agisse là d’un imaginaire limité car ces parcs sont aussi vastes que les étendues de l’ouest américain. En plus, l’univers du génie Walt Disney est tellement prolixe que chaque recoin de ces parcs recèle de souvenirs d’enfance pour chacun : la féérie de Blanche-Neige, le cynisme de Pinocchio, la mécanique de Cars… Bref, les mythes disneyiens sont tellement nombreux qu’il faudrait une ville de la taille de Paris pour tous les mettre en scène.
Par ailleurs, chaque détail, chaque brin d’herbe est entretenu comme si les enfants allaient se mettre à 4 pattes aux 4 coins du parc pour inspecter l’état de la végétation et des décors en carton-pâte.
Aucune fausse note dans l’accueil non plus. Je ne sais pas par quel super manager de choc à l’américaine ils sont tous briefés, je ne sais pas non plus combien ils sont, des armées entières, mais tout les gens qui travaillent chez Disney sont extrêmemment souriants, « friendly » et ils semblent prendre un véritable plaisir à être là . D'ailleurs, la question n’est pas là de savoir s’ils sont heureux de gagner le SMIC pour transpirer dans un costume de Winnie l’Ourson, la question est de savoir s’ils ont l’air d’être heureux. Effet particulièrement réussi, au pays de l’illusion érigée comme service ultime.
Enfin, à Dinseyland, il y en a vraiment pour tous les goûts, avec des manèges qui s'adressent aux enfants dès un an et demi jusqu'aux montagnes russes qui séduisent les ados en recherche de sensations fortes. 4 univers superbes, chacun dans leur genre, au sein du parc principal : le monde des contes de fées pour les filles, l'ouest américain pour les garçons et les adultes adorateurs de Mark Twain -un espace qui prend toute sa dimension lors de la fête d'Halloween avec des épouvantails à tête de citrouille qui évoquent l'univers des red-necks* et du KKK**-, l'univers des inventions et de la science fiction, avec son traité original façon début du 20e siècle, son Star Tour et son fameux Space Mountain (la pièce maîtresse du parc) et le monde, un peu hétéroclite il faut le dire, de l'aventure où se mèlent décors pseudo orientaux et bateaux de pirates. Il y a aussi le second parc, qui s'est largement étoffé ces dernières années, et qui restaure un magnifique Hollywood des années 50, à vous faire regretter d'avoir vendu les albums d'Elvis de vos parents sur e-bay.
Bien sûr, avec cynisme, on peut dire qu'il s'agit de prêt-à-rêver, de fast food de l'imaginaire. Certes. Mais justement, cette mise à disposition d'un cadre onirique et d'activités pré-machées permet aux parents de se concentrer sur leur relation avec leur enfant, là où ils passent habituellement leur temps et leur énergie à organiser, inventer, créer et innover en matière de distractions pour leur progéniture. Quant à l'effet sur les enfants, il est incontestable : ils entrent et ressortent bouche bée de cet endroit qu'ils n'imaginaient même pas exister. Sans compter la gratitude indéfectible qu'ils auront par la suite à l'égard de ceux qui les ont emmené au Paradis des petits...
À Disneyland, toutes les conditions sont donc réunies pour passer une journée, sans nuage, consacrée à la relation familiale et à la communion sur des manèges conçus, dans leur majorité, pour "vivre des choses ensemble".
Pour une expérience de symbiose totale et parfaitement mystique, je vous recommande toutefois d'éviter le parc au mois d'août, où vous vous retrouverez avec 3 fois plus de visiteurs que le reste de l'année et des files d'attente d'une heure à chaque manège. C'est, certes, l'occasion de discuter avec votre progéniture mais votre patience pourrait être entamée et une quinzaine de minutes d'attente, c'est largement suffisant pour se faire la conversation, laisser monter l'euphorie et, surtout, profiter de la décoration environnante car, comme rien n'est laissé au hasard, il y a toujours des choses à admirer lorsque vous faites la queue chez Disney.

La Tour de la Terreur

La toute dernière attraction en date est une vraie réussite, il faut le dire. "The Hollywood Tower Hotel" est un superbe immeuble Art Déco qui a été carbonisé par la foudre au niveau de son 13e étage. La mise en scène, à l'intérieur, est toute aussi parfaite. Aucune fausse note dans le mobilier années 50, recouvert de toiles d'araignées et joliment patiné puisque vous êtes dans un hôtel désaffecté depuis près de 50 ans. Avec un peu de chance, vous pouvez même être reçu par le groom qui apparait sur les affiches publicitaires pour cette attraction en ce moment. Un petit film vous raconte l'histoire de ces stars d'Hollywood venues séjourner ici et frappées par la foudre lorsqu'elles étaient dans l'ascenseur au niveau du 13e étage. Vous entrez ensuite dans ledit ascenseur et là, par un effet spécial étonnant, votre image dans le miroir disparait... Vous êtes entré dans la 4e dimension, la "Twilight zone" et vous voilà prêt à décoller pour le grand voyage.
Dans un vaste mouvement masturbatoire, l'ascenseur vous propulse tout en haut de la tour pour ensuite se laisser retomber 13 étages plus bas. Vous décollez de votre siège dans une chute vertigineuse, puis vous recommencez : en haut, en bas, en haut, en bas... Proprement masturbatoire, d'autant que vous êtes dans le noir, la plupart du temps. Cette sensation de jouissance individuelle prend tout son sens lorsqu'elle est partagée avec les siens, assis juste à côté.
J'étais toutefois fort mal à l'aise d'avoir croisé dans la file d'attente un petit garçon d'environ 9 ans, seul. Forcément seul. Rondouillet et très bavard, il me racontait qu'il faisait cette attraction pour la 18e fois (de la journée ?). Cette déclaration m'a immédiatement procuré un sentiment de mal-être. On étaient ses parents ? Je réalisais que, même chez Mickey, il y avait des enfants abandonnés. Et, surtout, je me souvenais alors qu'ils étaient légion en dehors de ces murs enchantés. Ce petit garçon, rond d'avoir mangé pour se remplir d'une mère qui n'est pas là, bavard pour mettre à distance la souffrance avec ses mots, s'était fait hypnotiser par ce grand mouvement masturbatoire de la Tour de la Terreur. Car lorsqu'une mère est absente, il faut bien se procurer seul les émotions qu'elle n'est pas en mesure de dispenser. La masturbation compulsive est un exutoire pour ceux qui ont vécu un abandon, réel ou symbolique, une façon de survivre à l'absence de relation originelle.
Mickey, le grand fédérateur, détourné en objet de plaisir narcissique, ironique, n'est-ce pas ?
Je ne sais pas si la Tour de la Terreur, comme le Space Mountain, ont été conçus aussi dans le but de satisfaire les enfants en manque de sensations maternelles, peut-être bien... Ils pensent à toutes les minorités ces américains.
En attendant, si vous passez par Disneyland Paris, venez au moins vivre une fois l'expérience de la Tour de la Terreur et admirer, à plusieurs de préférence, la magnifique vue sur tout le parc lorsque l'ascenseur vous aura hissé jusqu'au sommet.


* Red-neck : littéralement "cou rouge", c'est ainsi que l'on appelle les paysans de l'Amérique profonde (Texas, par exemple), dont le cou a été rougi par le soleil dans les champs, autrement dit, les ploucs réactionnaires du vieux sud (Texas).
** Initiales de Ku Klux Klan et je ne vous fait pas l'affront de vous expliquer de quoi il s'agit.

mardi 5 août 2008

Kung Fu Panda de Mark Osborne et John Stevenson (2008)


À l'ombre des pêchers en fleurs

L'affiche de "Kung Fu Panda" ne rend définitivement pas justice à la beauté spectaculaire de ce film. Je suis donc allée le voir en m'attendant à une comédie décalée avec des scènes de Kung Fu bien rythmées. En fait il s'agit plutôt d'une oeuvre contemplative, destinées, certes, aux enfants mais très asiatique, sur le fond et dans la forme. Un genre d'initiation à l'esthétique de l'extrême orient et aux fondements de la pensée chinoise.
Il est rare que le numérique soit à la hauteur de la réalité, pourtant, c'est ici le cas. Montagnes insaisissables auréolées de nuages célestes, palais aux couleurs chatoyantes et dont chaque détail sculpté est une merveille de délicatesse, végétation majestueuse... Même les personnages de ce film d'animation sont des trouvailles visuelles comme, par exemple, la Tigresse inspirée de la boite du fameux Baume du Tigre qui, de plus, prend la voix féline d'Angelina Jolie. Il y a aussi les clins d'oeils, très réussis, aux chorégraphies aériennes de "Tigre et Dragon" lorsque les 5 volent de toits en toits. Et la joie des feux d'artifices, parfaitement retranscrite, qui donnent à certains plans l'effet d'un énorme Jour de l'An chinois auquel on participerait activement.
Enfin, il y a la préciosité d'un arbre en fleurs qui laisse s'échapper ses pétales comme la vie qui file à chaque fin de printemps. Et une très belle métaphore qui pourrait s'intituler "la mort expliquée aux enfants" lorsque le vieux sage tortue s'évanouit dans un tourbillon de fleurs roses, sans douleur, juste parce que c'est le moment et qu'il doit s'en aller.
En fait, chaque instant de ce film est un cadeau, un hommage à la beauté de la vie et de la mort. C'est probablement pour toutes ces raisons que Kung Fu Panda représente à mes yeux une véritable initiation au cinéma asiatique pour les petits.
Un film à voir sur grand écran évidemment.

Entre frères et soeurs

Le scénario de "Kung Fu Panda" pourrait sembler un peu avare de rebondissements s'il ne s'agissait pas justement d'un film contemplatif. Et si la toile de fond est parfaitement chinoise, le noeud de l'histoire, lui, est international puisqu'il s'agit d'un drame familial ordinaire. Les 5, animaux surentrainés pour protéger la cité féodale, frères et soeurs symboliques, se disputent les faveurs de papa. Cette fois encore, il est question de savoir qui sera l'élu, le légendaire guerrier désigné pour débarrasser le peuple d'un ennemi impitoyable. Et là où se situe le drame, c'est que c'est le petit dernier, a priori totalement dénué de talent et de persévérance, qui est choisi, à savoir Po, le panda. Imaginez donc la déconvenue des 5 ainés après tous ces efforts, ces années d'acharnement pour attirer le regard de leur père spirituel, Maître Shifu. Il y a de quoi se dire, effaré, comme le faisait Salieri dans "Amadeus" à propos d'un Mozart immature : "Et c'est cette créature que Dieu avait choisi..."
Effectivement, le fils préféré de papa est un panda glouton et paresseux. Est-ce là une façon d'expliquer aux enfants qu'il n'y a souvent rien à comprendre dans les affinités des parents au sein d'une fratrie ? Peut-être bien... La philosophie du film est qu'il faut, de toutes façons, non pas se résigner, mais accepter les choix parentaux, quels qu'ils soient pour mieux partir s'épanouir ailleurs.
Le chemin qui mène à cette acceptation sereine, la Tigresse a déjà du le parcourir une première fois et elle nous le raconte. En effet, un autre noeud dans la relation entre les enfants et leur Maître est que ce dernier a perdu un élève avant même de les connaître. Il a pris sous son aile un jeune léopard, le cruel et fourbe Taï Lung, puis il a été déçu par ce dernier et il a du le laisser partir. Ayant perdu un enfant, le Maître Shifu se retrouve dans l'incapacité d'aimer ses élèves par la suite et, s'il entreprend toutefois de former la jeune Tigresse, il ne lui manifeste aucune affection paternelle. Ce pourrait donc bien être une métaphore du parent qui a perdu un premier enfant et se retrouve dans l'incapacité de nouer une véritable relation avec les suivants... Là encore, le message adressé aux jeunes (et moins jeunes) spectateurs est qu'on ne peut rien y faire, il faut apprendre à vivre avec (ou plutôt sans) et aller chercher ailleurs ce qui ne pourra jamais être donné par les parents endeuillés.

Une approche de l'Asie, un éloge de la persévérance au travers de la pratique des arts martiaux et un regard apaisé sur les rapports familiaux... Kung Fu panda est, à tous points de vue un film initiatique qui essaie de nous emmener au-delà de nos réflexes enfantins et nous invite à dépasser ce qui pourrait nous empêcher de réaliser notre destin.

mardi 29 juillet 2008

Matrix de Andy et Larry Wachowski (1998)


Paranoid park

Matrix n'est bien sûr pas la première oeuvre de science fiction qui s'adresse à nos tendances paranoïaques ; il semblerait même que le genre s'appuie principalement sur cette perversion de la réalité à laquelle nous sommes tous plus ou moins sujets. "Contre le monde, contre la vie", tel était le sous-titre de l'excellente biographie de Lovecraft par Michel Houellebecq. Dans cette mesure, on imagine bien que l'un des pionniers de la science fiction n'avait pas tendance à envisager "les autres" comme de gentils extra-terrestres pétris de bonnes intentions à son égard.
L'univers de Matrix est bien ce monde cauchemardesque qui hante le cerveau d'un grand parano. Tout d'abord, il y a la théorie du complot qui est typique. Ensuite, il y a la noirceur des images, leur patine verdâtre qui signifie que nous sommes dans un univers glauque*. Il y a ces armées de types, tous semblables, au service du vaste mensonge qu'est la matrice. Enfin, il y a les victimes, ces pauvres humains que l'on utilise pour leur énergie dès le berceau et que l'on a enfermés dans une prison mentale qu'est la matrice justement. Au-delà de la métaphore, ce film nous met directement dans la tête d'un paranoïaque et nous fait vivre de l'intérieur ce qu'est la prison mentale d'une telle pathologie. Un vécu qui nous parle à tous car cette tendance à la méfiance est parfaitement humaine. D'ailleurs, en y repensant, c'est tout à fait probable cette histoire de monde virtuel, n'est-ce pas ? Et si votre voisin n'était pas à côté de vous en ce moment mais plutôt le fruit d'une représentation de votre esprit ?

Ce qui est étonnant dans Matrix, ce n'est donc pas cette référence à la paranoïa, ni même la façon dont elle est parfaitement représentée. Là où ce film m'a profondément étonnée, c'est qu'il nous plonge à la source même de la paranoïa : dans le girond de la mère. La Matrice du film, mère symbolique de tous les humains, est un mensonge, et dans cette mesure, c'est toute la vie humaine qui est teintée de noirceur, de méfiance et de violence. Cette vision de champs de foetus cultivés pour être ensuite exploités est, d'ailleurs, parfaitement traumatisante, si ce n'est qu'elle fleure un peu trop le bidouillage numérique à mon goût.
La paranoïa comme pathologie trouve ses fondements dans une défaillance maternelle et c'est la métaphore centrale du film. À quoi donc ressemble la vie lorsque l'on a eu une mère malade, dépressive, maltraitante ou, pire, pas de mère ? On évolue alors dans un monde hostile, peuplé de personnages malveillants et qui veulent, à tout prix, voler au paranoïaque cette dernière pulsion de vie qui a grossi malgré (grâce à ?) cette trahison originelle de la mère.

Keanu et Laurence

De mon point de vue, Keanu Reeves est, aujourd'hui, le plus bel acteur d'Hollywood. La perfection et le raffinement de ses traits m'avaient déjà frappée il y a longtemps lors de son apparition dans le film "Little Buddha". Toutefois, Keanu est un personnage unisexe, pas trop viril, ni trop féminin. Il est donc parfait pour la projection de chacun. Comme la régularité de ses traits et l'élégance de sa démarche évoquent une certaine distinction intellectuelle, cet acteur-là, il me semble, force l'identification. Excellent choix donc pour incarner Neo, l'élu. L'élu de qui, cela n'est jamais dit, mais probablement celui de Dieu, donc de papa. Et qui est donc papa ? Laurence Fishburne, alias Morpheus, modèle de virilité, ce papa là est indestructible, il n'y a aucun doute. Voici donc une relation des plus séduisantes entre un père altier, sage, imperturbable, et son jeune fils en cours de réalisation personnelle. Morpheus fait totalement confiance à Neo et regarde d'un oeil amusé son jeune poulain se casser les dents lors de ses premières démonstrations de force au sein de la matrice. Un jeune homme, qui pourrait aussi bien passer pour une jeune fille, qu'un homme bienveillant a pris sous son aile, voilà de quoi fantasmer pour beaucoup d'entre nous, car il s'agit bien là du père idéal.

Bullit time

Ce sont les effets spéciaux et la qualité chorégraphique des combats qui ont fait une grosse partie du succès de Matrix à sa sortie. Pour la première fois dans ce film, est utilisé un procédé cinématographique appelé "bullit time". Il s'agit de tous les moments où une action reste figée tandis que la caméra semble effectuer un mouvement circulaire autour des personnages restés en suspens. C'est le cas lorsque Neo, expert express en Jiu-Jitsu, saute et lance son fameux coup de savate fatal. Il s'arrête en plein vol, tandis que notre regard tourne autour de lui comme s'il était devenu un mannequin de cire. C'est le même procédé lorsque les balles de revolver s'arrêtent en plein tir pour retomber ensuite sur le sol. Voici donc d'où vient le nom de l'effet "bullit time" : le temps d'une balle. Pour cela, plusieurs appareils photo sont disposés en cercle autour de l'action et ils sont tous déclenché au même moment. Ensuite il suffit de monter les images obtenues les unes derrière les autres pour donner l'illusion que l'action s'est figée tandis que la caméra continuait son mouvement circulaire autour des personnages.
"Bullit time", le temps des balles, c'est en fait le temps suspendu. C'est un des nombreux effets qui fascinent dans Matrix car ils donnent aux spectateurs la sensation de posséder de véritables pouvoirs sur la réalité. Il y a aussi les arts martiaux bien sûr, maîtrisés par chacun sans aucune pratique préalable et enfin l'auto-persuasion que Morpheus tente d'enseigner à Neo. Pour transformer la réalité, il suffirait d'y croire. Voici encore un aspect du film qui flatte nos egos à peine sortis de l'enfance. Arrêter le temps, utiliser sa force mentale pour changer ce que l'on a devant les yeux... Un tel sentiment de toute puissance explique largement l'extrême jouissance que l'on peut ressentir face à cette petite merveille de technologie qu'est Matrix.

Rage against the system

Matrix est aussi un film de kids en rébellion contre leur mère, forcément mauvaise, "kids" étant un terme qui désigne à la fois les enfants et les ados aux US. La bande son va donc chercher du côté des grosses pointure de l'électro et du rock des années 90 : Chemical Brothers, Rage Against the Machine... Le second groupe étant la plus belle incarnation musicale de cette rage adolescente, teintée de toute-puissance et de rébellion contre le système/les parents.
En conclusion du film, Neo se mélange à la masse de ceux qui peuplent la matrice sur fond de "F*** you, I won't do what you tell me, mother f****er".
Et là, toute cette rage refoulée remonte en chacun de nous...
Tous des ados attardés.

* L'adjectif "glauque" désigne à l'origine une nuance de vert.

vendredi 25 juillet 2008

Une blague anglaise

What's the difference between a yoghourt and an american citizen ?
Answer : At least a yoghourt has culture* on top.

* "Culture" en français, mais aussi "ferments lactiques".