skip to main |
skip to sidebar
Matrix de Andy et Larry Wachowski (1998)
Paranoid park
Matrix n'est bien sûr pas la première oeuvre de science fiction qui s'adresse à nos tendances paranoïaques ; il semblerait même que le genre s'appuie principalement sur cette perversion de la réalité à laquelle nous sommes tous plus ou moins sujets. "Contre le monde, contre la vie", tel était le sous-titre de l'excellente biographie de Lovecraft par Michel Houellebecq. Dans cette mesure, on imagine bien que l'un des pionniers de la science fiction n'avait pas tendance à envisager "les autres" comme de gentils extra-terrestres pétris de bonnes intentions à son égard.
L'univers de Matrix est bien ce monde cauchemardesque qui hante le cerveau d'un grand parano. Tout d'abord, il y a la théorie du complot qui est typique. Ensuite, il y a la noirceur des images, leur patine verdâtre qui signifie que nous sommes dans un univers glauque*. Il y a ces armées de types, tous semblables, au service du vaste mensonge qu'est la matrice. Enfin, il y a les victimes, ces pauvres humains que l'on utilise pour leur énergie dès le berceau et que l'on a enfermés dans une prison mentale qu'est la matrice justement. Au-delà de la métaphore, ce film nous met directement dans la tête d'un paranoïaque et nous fait vivre de l'intérieur ce qu'est la prison mentale d'une telle pathologie. Un vécu qui nous parle à tous car cette tendance à la méfiance est parfaitement humaine. D'ailleurs, en y repensant, c'est tout à fait probable cette histoire de monde virtuel, n'est-ce pas ? Et si votre voisin n'était pas à côté de vous en ce moment mais plutôt le fruit d'une représentation de votre esprit ?
Ce qui est étonnant dans Matrix, ce n'est donc pas cette référence à la paranoïa, ni même la façon dont elle est parfaitement représentée. Là où ce film m'a profondément étonnée, c'est qu'il nous plonge à la source même de la paranoïa : dans le girond de la mère. La Matrice du film, mère symbolique de tous les humains, est un mensonge, et dans cette mesure, c'est toute la vie humaine qui est teintée de noirceur, de méfiance et de violence. Cette vision de champs de foetus cultivés pour être ensuite exploités est, d'ailleurs, parfaitement traumatisante, si ce n'est qu'elle fleure un peu trop le bidouillage numérique à mon goût.
La paranoïa comme pathologie trouve ses fondements dans une défaillance maternelle et c'est la métaphore centrale du film. À quoi donc ressemble la vie lorsque l'on a eu une mère malade, dépressive, maltraitante ou, pire, pas de mère ? On évolue alors dans un monde hostile, peuplé de personnages malveillants et qui veulent, à tout prix, voler au paranoïaque cette dernière pulsion de vie qui a grossi malgré (grâce à ?) cette trahison originelle de la mère.
Keanu et Laurence
De mon point de vue, Keanu Reeves est, aujourd'hui, le plus bel acteur d'Hollywood. La perfection et le raffinement de ses traits m'avaient déjà frappée il y a longtemps lors de son apparition dans le film "Little Buddha". Toutefois, Keanu est un personnage unisexe, pas trop viril, ni trop féminin. Il est donc parfait pour la projection de chacun. Comme la régularité de ses traits et l'élégance de sa démarche évoquent une certaine distinction intellectuelle, cet acteur-là, il me semble, force l'identification. Excellent choix donc pour incarner Neo, l'élu. L'élu de qui, cela n'est jamais dit, mais probablement celui de Dieu, donc de papa. Et qui est donc papa ? Laurence Fishburne, alias Morpheus, modèle de virilité, ce papa là est indestructible, il n'y a aucun doute. Voici donc une relation des plus séduisantes entre un père altier, sage, imperturbable, et son jeune fils en cours de réalisation personnelle. Morpheus fait totalement confiance à Neo et regarde d'un oeil amusé son jeune poulain se casser les dents lors de ses premières démonstrations de force au sein de la matrice. Un jeune homme, qui pourrait aussi bien passer pour une jeune fille, qu'un homme bienveillant a pris sous son aile, voilà de quoi fantasmer pour beaucoup d'entre nous, car il s'agit bien là du père idéal.
Bullit time
Ce sont les effets spéciaux et la qualité chorégraphique des combats qui ont fait une grosse partie du succès de Matrix à sa sortie. Pour la première fois dans ce film, est utilisé un procédé cinématographique appelé "bullit time". Il s'agit de tous les moments où une action reste figée tandis que la caméra semble effectuer un mouvement circulaire autour des personnages restés en suspens. C'est le cas lorsque Neo, expert express en Jiu-Jitsu, saute et lance son fameux coup de savate fatal. Il s'arrête en plein vol, tandis que notre regard tourne autour de lui comme s'il était devenu un mannequin de cire. C'est le même procédé lorsque les balles de revolver s'arrêtent en plein tir pour retomber ensuite sur le sol. Voici donc d'où vient le nom de l'effet "bullit time" : le temps d'une balle. Pour cela, plusieurs appareils photo sont disposés en cercle autour de l'action et ils sont tous déclenché au même moment. Ensuite il suffit de monter les images obtenues les unes derrière les autres pour donner l'illusion que l'action s'est figée tandis que la caméra continuait son mouvement circulaire autour des personnages.
"Bullit time", le temps des balles, c'est en fait le temps suspendu. C'est un des nombreux effets qui fascinent dans Matrix car ils donnent aux spectateurs la sensation de posséder de véritables pouvoirs sur la réalité. Il y a aussi les arts martiaux bien sûr, maîtrisés par chacun sans aucune pratique préalable et enfin l'auto-persuasion que Morpheus tente d'enseigner à Neo. Pour transformer la réalité, il suffirait d'y croire. Voici encore un aspect du film qui flatte nos egos à peine sortis de l'enfance. Arrêter le temps, utiliser sa force mentale pour changer ce que l'on a devant les yeux... Un tel sentiment de toute puissance explique largement l'extrême jouissance que l'on peut ressentir face à cette petite merveille de technologie qu'est Matrix.
Rage against the system
Matrix est aussi un film de kids en rébellion contre leur mère, forcément mauvaise, "kids" étant un terme qui désigne à la fois les enfants et les ados aux US. La bande son va donc chercher du côté des grosses pointure de l'électro et du rock des années 90 : Chemical Brothers, Rage Against the Machine... Le second groupe étant la plus belle incarnation musicale de cette rage adolescente, teintée de toute-puissance et de rébellion contre le système/les parents.
En conclusion du film, Neo se mélange à la masse de ceux qui peuplent la matrice sur fond de "F*** you, I won't do what you tell me, mother f****er".
Et là, toute cette rage refoulée remonte en chacun de nous...
Tous des ados attardés.
* L'adjectif "glauque" désigne à l'origine une nuance de vert.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire